CINÉMA :
L'INDUSTRIE
DE
L'IMAGINAIRE

Les débuts montréalais du cinéma nord-américain

La première projection cinématographique publique en Amérique, a lieu à Montréal en 1896, un an après celle organisée à Paris par les frères Lumière.

Le Ouimetoscope : le premier cinéma

Dès 1906, une première salle consacrée à la projection de films est fondée à Montréal, le Ouimetoscope, fondée par Léo-Ernest Ouimet, considéré comme l’un des pionniers du cinéma.

Un secteur privé et commercial

Le cinéma est, dès le début, un secteur organisé industriellement, donc privé et commercial, qui se finance par la vente de billets (location d’une place), mais aussi de produits de convenance (cigarettes, bonbons, etc.) et par la publicité.

Les cinémas sont des lieux de socialisation importants au début du siècle qui s’urbanise rapidement : on y va pour voir des films, mais aussi pour assister aux actualités filmées, pour y voir des tours de chant et autres performances diverses, dans l’esprit du théâtre de «variétés».

D'abord diffuseurs de films d'ailleurs... puis producteurs de films d'ici

Des cinéastes amateurs (souvent les propriétaires des salles eux-mêmes) proposent parfois leurs productions «locales» aux spectateurs, mais les films projetés proviennent presque tous d’Europe (Angleterre, France) et des États-Unis.

LE CINÉMA :
UNE INDUSTRIE HOLLYWOODIENNE

L’industrie cinématographique américaine est très concentrée, les grands studios américains contrôlent généralement l’ensemble de la chaîne de valorisation depuis la production jusqu’à la distribution, aux États-Unis et dans les autres pays «industrialisés».

Le Canada est considéré comme un sous-marché du domestic market des majors d’Hollywood, qui y distribuent leurs films dans les salles indépendantes ou dans les salles qu’elles exploitent dans les grands centres urbains.

1920

Fondation de Famous Players

Famous Players Canadian Corporation est la première chaîne de cinémas au Canada. Liée à Paramount Pictures, premier studio à produire des «longs métrages», elle est établie sur le réseau de salles fondé  durant les années 1910.

Famous Players contrôle alors la distribution et la diffusion des productions produites par Paramount.

1941

Fondation de CINEPLEX ODEON

Odéon, la deuxième chaîne de cinémas au Canada, est fondée par le fils du président de la Famous Players, mais est rapidement vendue à une entreprise de divertissement britannique.

En 1945, Odéon et Famous Players passent une entente afin de garantir le nombre d’écrans consacrés aux films hollywoodiens. 

Le cartel organisé par les entreprises américaines qui concentre les réseaux de production et de distribution des films réduit considérablement le nombre d’écrans disponibles pour diffuser des productions locales. 

La plus grande partie des recettes perçues aux guichets vont à des sociétés de distribution étrangères, ce qui amène les cinéastes canadiens à se tourner vers d’autres sources de financement pour soutenir le développement d’une cinématographie locale, notamment l’Église et l’État.

Le «cinéma québécois»

« Selon les logiques économiques qui régissent le cinéma depuis ses origines, la cinématographie québécoise n’aurait jamais dû voir le jour. Dans le sous-continent nord-américain où, à partir de 1910, s’est rapidement développé l’épicentre du cinéma commercial mondial – Hollywood – il n’y avait, a priori, pas de place pour d’autres productions. Et encore moins pour un cinéma francophone. »

Le clergé contre les «vues du diable»

L'intervention de l'Église

En 1913, sous l’influence de l’Église catholique, le gouvernement du Québec met sur pied le Bureau de censure des vues animées qui – ici comme ailleurs –, sélectionne et tronque les films présentés pour assurer la moralité des films.

Néanmoins, certains ecclésiastiques décident d’utiliser cet art de masse au profit de leur mission et propager des valeurs, des modèles, des idées. 

Mgr Albert Tessier est l'un des pionniers du cinéma québécois. Il réalise des films documentaires qui cherchent à faire découvrir l'histoire, le terroir, la nature du Québec. En 1980, le gouvernement du Québec crée le prix Albert-Tessier décerné à des cinéastes québécois qui se sont démarqués par leur carrière.

Les premières productions en français

Adapté d'une pièce de théâtre écrite en 1921 à partir d'une histoire vraie, l'histoire de la petite Aurore Gagnon a été portée à l'écran pour une première fois en 1952

De 1910 à 1950 les salles de cinéma se multiplient et attirent le public avec des productions américaines et européennes, ainsi qu’avec des films d’information ou quelques courts documentaires canadiens. 

À partir des années 1940, les films de fiction québécois prennent peu à peu l’affiche en proposant des fresques mélo-dramatiques chargées de morale et de bons sentiments, souvent adaptés de romans ou de pièces de théâtre à succès. Ces films locaux, en français, se révèlent plutôt populaires.

Quelques sociétés de production voient le jour, comme Renaissance Film, qui a pour but déclaré de tourner des films catholiques au Québec, une expertise locale se développe peu à peu. 

J.A.
DeSève

« Joseph-Alexandre DeSève, distributeur, producteur de cinéma, exploitant de salles. Après avoir exercé divers métiers, il commence, au début des années 1930, à importer, à distribuer et à présenter des films. En 1934, il acquiert la compagnie France Film, la plus importante firme de distribution de films français au Canada, qui est également propriétaire d’un réseau de salles spécialisées dans la présentation de films et de spectacles français. Lorsque la Deuxième Guerre mondiale l’empêche de s’approvisionner en Europe, il décide d’assouvir un vieux désir : se lancer dans la production. […] Il comprend toutefois qu’il est plus payant de distribuer que de produire des films québécois, surtout s’il exerce un monopole sur les salles. »

Le cardinal Paul-Émile Léger rendant visite à Joseph-Alexandre DeSève au studio de Télé-Métropole. (Photo : Roméo Gariépy. 1963)

Intervention de l'État

L'OFFICE NATIONAL DU FILM DU CANADA

En 1939, le gouvernement du Canada décide d’organiser et de stimuler la production cinématographique canadienne et fonde l’Office national du film (ONF), une société publique ayant pour mandat de faire «connaître et comprendre le Canada aux Canadiens et aux autres nations». L’organisme sert d’abord surtout d’outil de propagande pour renforcer le sentiment d’appartenance nationale en temps de guerre, il donnera l’occasion à de nombreux innovateurs de développer le cinéma canadien.

L’arrivée de l’ONF à Montréal en 1956 constitue un véritable tournant dans l’histoire du cinéma francophone en Amérique du Nord. L’année suivante, une polémique éclate à l’intérieur et à l’extérieur de cette institution sur le peu de place laissée aux réalisateurs et aux techniciens francophones. En 1958, deux d’entre eux, Michel Brault et Gilles Groulx réalisent Les Raquetteurs. Un court métrage documentaire qui date les débuts de l’école du cinéma direct qui connaît son heure de gloire au début des années 60. Ce mouvement cinématographique qui accompagne la Révolution tranquille marque les véritables débuts du cinéma québécois. 

L'ONF et le cinéma «direct» québécois

« Durant les années 1960, la volonté des cinéastes témoignait du désir de participer activement au mouvement social et culturel qui secouait alors le Québec. Le cinéma québécois devait se réapproprier l’imaginaire monopolisé par Hollywood. À cette époque, les cinéastes mettent l’accent sur l’importance de révéler les Québécois comme ils sont. Les films participent alors de la (re)construction identitaire du sujet québécois présenté sous les atours du sujet en voie de modernisation accélérée. »

À la fin des années 1950 et au courant des années 1960, l’ONF se démarque par sa production documentaire et développe de nouvelles techniques d’animation. Le financement fédéral assure une certaine liberté aux créateurs qui peuvent explorer de nouvelles approches et prendre des risques.

L’ONF constitue une école d’où sortiront les producteurs et les réalisateurs qui participeront à mettre sur pied une industrie cinématographique indépendante au Québec et au Canada. 

L'industrie cinématographique canadienne

1950

Le gouvernement introduit un amortissement fiscal de 50 % visant à encourager l’investissement privé dans les entreprises cinématographiques canadiennes

1967

Fondation de la Société de développement de l’industrie cinématographique canadienne (SDICC)

La SDICC est un organisme fédéral qui reçoit pour mandat d’investir des fonds qu’il reçoit du gouvernement dans la production de films canadiens afin de soutenir le développement d’une industrie indépendante. Selon le gouvernement de l’époque, le secteur allait rapidement devenir autosuffisant et la SDICC ne devait être qu’un soutien ponctuel.

Elle contribuera à la production d’un certain nombre de films commerciaux qui connaîtront un certain succès au tournant des années 1970.

« Pour Judy LaMarsh, qui dirige le Secrétariat d’État, la création d’une industrie de la production nécessite que les films soient rentables et donc exportables vers les États-Unis, ce qui implique la présence des distributeurs américains. L’argument de l’exportation est toujours utilisé dans l’optique d’une légitimation de l’absence de mesures concernant la distribution et la diffusion des films au Canada […] Pour J. LaMarsh, les films canadiens doivent être le plus « américains » possible pour engranger des profits. Or, les cinéastes québécois (et plusieurs cinéastes canadiens d’ailleurs) vont, en utilisant les fonds de la SDICC, développer une autre conception – d’auteur – du cinéma canadien. »

Cinéma commercial

Le «Maple Syrup» Porno

Extrait de Valérie (1971)

L’expression «Maple syrup porno» a été proposée par le magazine Variety pour désigner les films pornographiques «soft-core» produits au Québec entre 1969 et 1971.

Sortes de comédies romantiques, ces drames de mœurs, dans lesquels jouaient des vedettes de l’époque, parsemaient leurs histoires sentimentales de scènes de nudité et de sexe et constituent les premiers grands succès commerciaux du cinéma canadien d’après-guerre.

Le succès au box office de ces films, même s’il ne dure que quelques années, permettra à des producteurs d’établir la viabilité commerciale de l’industrie cinématographique québécoise.

1974 : Occupation du Bureau de surveillance

Luce Guilbeault, Marcel Sabourin, André Brassard, Monique Miller, Denise Filiatrault, Claude Gauthier, Aubert Pallascio, Michel Tremblay, Jean Duceppe

« En 1963, les cinéastes québécois commencent à former des associations afin de réclamer l’intervention des gouvernements dans le financement et le soutien de l’industrie cinématographique canadienne et québécoise. […] [En novembre 1974],  décident d’aller occuper le Bureau de surveillance du cinéma situé dans l’édifice gouvernemental du 360 rue McGill. Ils furent alors rejoints par l’ensemble du milieu et pendant plusieurs semaines, l’endroit se transforme en un espace où vont se tenir spontanément une sorte “d’États généraux du cinéma québécois”. Ce coup de force, va finalement entraîner l’adoption, début 1975, de la loi créant l’IQC aujourd’hui devenu la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC). »

1974

Le gouvernement canadien hausse l’amortissement fiscal de 60 % à 100 % de l’investissement dans les productions canadiennes :  les producteurs peuvent désormais déduire la totalité des sommes investies pour réaliser un film de 75 minutes min., réalisé par au moins un réalisateur canadien et dont au moins 75 % de la production a été réalisée au Canada.

La mesure vise à soutenir le cinéma canadien, mais aussi à stimuler la co-production de films étrangers au Canada.

1975

Le gouvernement du Québec adopte la première Loi sur le cinéma

1977

Le gouvernement du Québec met en place l’Institut québécois du cinéma (IQC) qui agit un peu comme la SDICC, en priorisant les aspects économiques sur les aspects esthétiques, de forme ou de contenu… mais avec beaucoup moins de fonds à dépenser.

1983

Le gouvernementdu Québec adopte une nouvelle loi sur le cinéma qui vise à augmenter le financement des productions québécoises qui bénéficient peu du financement de la SDICC, et encadrer la distribution et forcer, entre autres, les studios américains à présenter une version doublée de leurs films pour être diffusés au Québec. La loi sera contestée et modifiée à plusieurs reprises sous les pressions de la Motion Picture Association of Canada.

1984

La SDICC devient Téléfilm Canada suite à l’adoption de la Politique nationale du film et de la vidéo et prend un double rôle afin de financer à la fois les productions cinématographiques et les productions télévisuelles.

« Au long de la décennie 1970, la stratégie québécoise dans le domaine de la culture et des communications s’est caractérisée d’ une part par une volonté d’élaborer une véritable politique nationale autonomiste et, d’autre part, par une politique de type social-démocrate axée sur la notion de service public. 

Mais au cours des années 1980, on assiste a un changement de cap majeur. Bien sûr, l’État quebecois continue de revendiquer les pleins pouvoirs, mais il est contraint à se retrancher sur des positions défensives et à s’engager sur la voie de la collaboration avec le fédéral […] tout en privilégiant la consolidation des industries culturelles et la concertation entre l’État et l’entreprise privée.

L’affirmation de la «souveraineté culturelle» du Québec se fera dorénavant à travers la promotion des industries québécoises de la culture et des communications. »

Au toumant des années 1980, une série de facteurs conjoncturels ont engendré un nouveau rapport de forces politique et réglementaire et incité le gouvernement québécois a repenser sa strategie d’intervention :

    • un contexte politique renouvelé suite au double échec judiciaire («guerre du câble») et politique (défaite référendaire) du gouvernement du Québec face au fédéral; 
    • le développement des nouvelles technologies d’information et de communication, notamment la câblodistribution qui permet de décupler le nombre de chaînes de télévision accessibles; 
    • une situation économique difficile compte tenu, entre autres, du déficit budgetaire de l’État qui force à repenser le modèle social-démocrate adopté par le gouvernement depuis la révolution tranquille.

« On peut distinguer deux périodes importantes dans la mise en place et la réforme de sociétés d’État engagées dans le financement du cinéma. La première période (1976-1984) se distingue par l’encouragement au développement du cinéma de fiction, tandis que la seconde (de 1984 à aujourd’hui) se caractérise par la consolidation des acquis de cette politique de la réalisation du cinéma de fiction. Ces diverses interventions publiques permettent la création d’une industrie cinématographique locale qui impose graduellement une nouvelle exigence aux jeunes réalisateurs: l’écriture d’un scénario. »

Le nombre de productions québécoises baisse au début des années 1980, face à des difficultés financières, aux coûts plus élevés, la diminution du pouvoir d’achat et la compétition d’énormes productions.

Le cinéma Québécois parvient toutefois à retrouver une certaine vigueur avec le succès international de différentes productions de réalisateurs issus des studios de l’ONF ou de la Société Radio-Canada.

 

« Cette période voit aussi l’émergence d’un nouveau genre dans le cinéma québécois : les films pour enfants. La série Contes pour tous, produite par Rock Demers, fait appel à des réalisateurs remarquables comme André Melançon (et son classique La guerre des tuques, 1984), Michael Rubbo et Jean Beaudry. Certains films de cette série sont des coproductions. Cette méthode de financement devient de plus en plus courante à l’ONF, dans l’industrie privée, à l’IQC, à la SDICC et à la télévision. »

LE CINÉMA
CANADIEN >>
<<AMÉRICAIN

Avec Téléfilm Canada, la stratégie du gouvernement canadien pour les industries de l’audiovisuel au courant des années 1980, contribue à l’apparition d’un grand nombre d’entreprises privées de production. L’expertise de ces entreprises et des équipes de tournage, le taux de change avantageux et les incitatifs fiscaux attirent également les grands et les petits studios des États-Unis.

Avant la pandémie, le nombre de tournages américains à Montréal avait atteint un sommet : 

Depuis deux ans, le Québec est près d’atteindre un record en matière de films étrangers tournés à Montréal. L’an dernier, les dépenses totales ont atteint 383 millions.

Contrbuant à cet attrait, les studios Mel’s, fondés en 1988 par Mel Hoppenheim et Michel Trudel, spécialistes en location de matériel cinématographique, accueillent de nombreuses productions étrangères.

L’expertise montréalaise est aussi reconnue en matière de post-production et d’effets spéciaux..

Les effets de Star Wars : L’ascension de Skywalker et de la série The Mandalorian ont été en partie réalisés chez Hybride

« Au Québec seulement, l’industrie des effets visuels (désignée par l’acronyme VFX) génère bon an mal an des contrats dépassant les 100 millions de dollars. De 1500 à 2000 emplois, si l’on tient compte du volet animation, en découlent. En 2014, des effets spéciaux incorporés à 35 grosses machines hollywoodiennes comme X-Men et Hunger Games ont été créés ici. Le gigasuccès printanier Avengers : l’ère d’Ultron met également en avant des effets visuels conçus et exécutés chez nous. À l’instar de la très populaire série de HBO Le trône de fer. Et, prochainement, du Monde jurassique. »

LE CINÉMA
QUÉBÉCOIS >
>CANADIEN

« Le Québec concentre un peu plus de 50 % de la production nationale de films, contre 30 % pour l’Ontario et 20 % pour la Colombie britannique. 1 % du volume de production est localisé dans l’Alberta, et aucun film n’est tourné dans les autres provinces !
 
Malgré la domination du Québec, les œuvres en langue française constituent moins d’un tiers de la production nationale (97 millions de dollars sur 350), soit une trentaine de films contre 70 longs métrages en anglais. Les films en langue française ont aussi des budgets plus bas, à 2,9 M de dollars en moyenne contre 3,5 M de dollars – écart qui s’explique par le plus grand nombre de films en anglais au budget conséquent, notamment les coproductions internationales. »

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