LA PRESSE ÉCRITE :
L'INDUISTRIALISATION
DES BIENS CULTURELS

Pré-industrialisation et développement de la presse

Les techniques mécanisées d’impression développées en Europe au milieu du XVe siècle ont considérablement accéléré la reproduction de livres qui devaient être, jusqu’alors, entièrement réalisés à la main. Depuis les débuts de l’écriture, les «ouvrages» manuscrits constituaient des oeuvres rares et précieuses, coûteuses. La presse typographique fera diminuer considérablement les coût de reproduction des manuscrits et favorisera la distribution du livre, le développement de nouveaux genres littéraires et la circulation de nouvelles idées.

L’amélioration des techniques d’imprimerie a peu à peu contribué à l’apparition de nouvelles formes d’écriture à travers la «presse» écrite, à par tir des XVIe et XVIIe siècles.

Le développement de la presse écrite se nourrit de différents facteurs comme:

  • le développement des échanges économiques à l’échelle nationale et internationale,
  • l’avènement de la bourgeoisie,
  • la création des postes modernes, réseau de communication essentiel pour la circulation des idées, et
  • les premières luttes pour la liberté d’expression

« L’édition, qui fut l’une des toutes premières formes d’entreprise capitaliste, participa à la quête incessante de marchés du capitalisme. Les premiers imprimeurs établirent des succursales à travers l’Europe entière […] Et puisque les années 1500-1550 furent une période d’exceptionnelle prospérité en Europe, l’édition fut partie prenante de cet essor général.  »

Benedict Anderon (1983)

« Jamais, surtout, autant que durant la première partie du XVIe siècle […], l’industrie du livre fut autant en fait une grande industrie, dominée par de puissants capitalistes ; âge d’or de l’imprimerie où le commerce du livre fait figure de grand commerce international […] »

Essor
de la
presse écrite
au Québec

Les premières presses à imprimer arrivent à Québec de l’atelier de Benjamin Franklin à Philadelphie en 1764, un an après la signature du Traité de Paris, et publient les premières gazettes à Québec et Montréal, des documents financés par de la publicité, les avis publics des gouvernements, et les partis politiques qui teintent fortement l’orientation éditoriale des journaux

Benjamin Franklin et sa presse à imprimer

La « presse » est d’abord principalement militante et réservée à une élite. On y distingue peu les propriétaires, les travailleurs et le lectorat.

Les imprimés accordent une place centrale au commentaire, font l’objet de nombreux procès et ne cherchent pas à faire de profits ; surtout à faire circuler des idées. C’est une presse vivante dans les périodes « chaudes » de l’histoire.

À partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, au Québec comme ailleurs en occident, la presse écrite est florissante. Les journaux quotidiens comme les revues périodiques spécialisées se multiplient, et les tirages augmentent.

Les journaux sont la propriété d’hommes souvent impliqués en politique, et alors très partisans, ou alors édités par les communautés religieuses.

Fondée à Montréal en 1884, La Presse est l’un des plus vieux journaux francophones toujours en activité en Amérique. Il s’inspire des pratiques en usage dans les grands journaux américains en mettant l’accent sur les faits divers, en grossissant les titres et en introduisant des images. 

Le Devoir est quant à lui publié pour la première fois en 1910 à Montréal, fondé par Henri Bourassa, ancien député fédéral qui deviendra un farouche opposant de son ancien gouvernement.

À Québec, en 1896, Le Soleil, «Organe du parti libéral», est fondé par des membres du Parti libéral, dont Wilfild Laurier, premier ministre du Canada de  1896 à 1911, et Lomer Gouin, premier ministre du Québec de 1905 à 1920.

Industrie de la presse et capitalisme

Tout au long du XIXe siècle, la presse participe au déploiement du capitalisme industriel à deux niveaux :

  • comme témoin, en faisant circuler les idées et les information favorisant les échanges et le développement industriel ;
  • comme acteur, en soutenant le développement des différentes industries et la diffusion des produits de consommation par la publicité.

La nécessité de soutenir la mise en valeur du capital (recherche de profit) encourage l’augmentation progressive de la productivité et accentue le processus d’industrialisation de la presse en favorisant notamment :

    • la division des tâches ;
    • la professionnalisation du journalisme ;
    • la spécialisation des contenus et des publications ;
    • la séparation entre les faits et les commentaires ;
    • la croissance du divertissement dans les pages de journaux.

Au début du XXe siècle la compétition est très forte : on publie des centaines de gazettes, de journaux et de bulletins de tous genres sur l’ensemble du territoire.

La presse connaît son premier âge d’or au début du XXe siècle en se faisant plus accessible
et plus diversifiée que jamais auparavant.

Le modèle économique alors adopté par les médias écrits devient la norme pratiquement
jusqu’à la fin du siècle.

Le financement repose principalement sur :

Les abonnements

La vente directe

La publicité

Les petites annonces

Les entreprises de presse contrôlent généralement l’ensemble de la chaîne de valeur.

La presse écrite demeure un secteur relativement stable jusqu’à la fin du siècle, surtout marqué par d’importantes revendications et conflits professionnels, témoignage des importants profits engrangés par les «magnats de la presse».

La vigueur du secteur permet une développement rapide de nouveaux formats, genres et approches journalistiques.

Une industrie locale prospère

Tout au long du XXe siècle, la presse écrite ne change que très peu son modèle et ses pratiques. Au gré de l’alphabétisation des populations, de nouveaux types de publications apparaissent afin de rejoindre de nouveaux publics et les techniques améliorées d’impression permettent de varier la mise en page (ajout de la couleur, modification des formats, encarts et éditions spéciales), mais la presse demeure une industrie plutôt stable et prospère. 

Le Petit Journal, lancé en 1926, est le premier tabloïd québécois. Publié dans un format plus compact et illustré. D’autres titres marqueront l’histoire des tabloïds québécois, comme le Montréal-Matin ou le Allô Police.

Le journal revendiquera son indépendance et, malgré plusieurs difficultés financières, demeure la propriété de ses administrateurs et de ses employés.

La Presse, édition du 11 avril 1956. Le journal occupe une position dominante qui lui confèrera le titre auto-proclamé de «plus grand quotidien francophone d’Amérique», jusqu’au milieu des années 1960. 

En 1963, Pierre Péladeau devient un joueur incontournable de l’information en lançant Le Journal de Montréal, à mi-chemin entre le tabloïd et le quotidien d’information. 

En 1967, Paul Desmarais, président de Power Corporation, une entreprise à portefeuille qui compte notamment des intérêts dans les domaines de l’énergie (pétrole) et dans l’impression commerciale, acquiert le journal La Presse.

Les deux hommes se partageront le principal marché de la presse écrite au Québec jusqu’au début des années 2000. 

Le marché de la presse est cependant vivant et diversifié : on peut distinguer différents types de journaux, selon leur diffusion (nationale, intermédiaire ou locale), leur format (grand format, tabloïd), leur périodicité (quotidien, mensuel, hebdomadaire) ou leur type de propriété (conglomérats, indépendants, communautaires, etc.). Des commerces spécialisés voient le jour (maisons de la presse) et si la tâche des éditeurs est primordiale, la distribution est la clé du succès.

Des hebdos gratuits...

Fondé en 1986, L’hebdomadaire Voir était distribué gratuitement dans de nombreux lieux publics (commerces, restaurants, universités, etc.) de Montréal. Vendu en 2015 au Groupe XPND Capital, il devient alors un magazine bimensuel, puis n’est accessible qu’en ligne en 2019 avant de disparaître en 2020.

La vitalité économique de la presse écrite favorise, tout au long des années 1980-90, l’essor de nouvelles publications et de nombreux hebdomadaires ou mensuels. En 1998, le Québec compte plus de 200 hebdos tirés à 5 millions d’exemplaires par semaine, pour près de 250 millions de chiffre d’affaires annuel pour cette branche. La quasi totalité de ces hebdos sont distribués gratuitement.

... aux quotidiens gratuits.

Fondé à Stockholm en Suède en 1995, le journal Metro
adapte le modèle de la gratuité à la presse quotidienne. Implanté à Montréal en 2001 le média repose sur un vaste réseau d’agences de presse et de partenaires locaux pour l’impression et la production de nouvelles locales. Le Journal Métro a cessé ses activités à Montréal en 2023.

Au début des années 2000, la gratuité gagne les journaux publiés quotidiennement, tandis que le web rend l’information plus accessible que jamais, entre autres en permettant d’accéder aux contenus des grands médias étrangers. Les entreprises de presse se confrontent sur le terrain de la publicité et de la distribution.

La crise des médias

À la fin des années 1990, la forte compétition entre les nombreux imprimés et l’avènement des médias électroniques menacent peu à peu la survie et le développement de la presse. Les grandes entreprises de presse sont de grosses organisations peu agiles craignant le risque. Les principaux titres sont soutenus par les groupes à qui appartiennent les journaux (ex. Québecor et Power Corp.) La presse indépendante arrive à survivre grâce à l’engagement de son lectorat… c’est le début de «la crise des médias écrits», appelant une réorganisation de fond en comble du modèle d’affaires.

La compétition des quotidiens gratuits concorde avec l’usage croissant d’internet au tournant des années 2000 et cela crée un contexte propice à la «crise des médias» en affectant directement les sources de revenus traditionnelles des médias. 

La gratuité réduit l'intérêt pour l'abonnement

La gratuité affecte la vente directe

Le web devient le lieu privilégié de la publicité

Les sites de petites annonces accaparent ces services

La « crise des médias », amorcée au début des années 2000, s’accentue à partir du milieu des années 2010 dans un contexte caractérisé par :

  • La concurrence sans précédent pour l’attention des consommateurs de biens d’information et de biens culturels ;
  • L’accessibilité accrue à une information variée et gratuite – d’une immense disparité en regard de la qualité – au volume presque infini ;
  • Le rôle central qu’occupent les grandes entreprises technologiques étrangères qui médiatisent l’accès au web, aux applications et aux contenus (intermédiaires) ;
  • La diffusion des contenus par le biais de la curation algorithmique des plateformes.

État des lieux de la Presse écrite en 2023

Presse quotidienne

La presse écrite a subi d’importantes reconfigurations depuis les dix dernières années, mais en général, les quotidiens qui subsistent parviennent à se maintenir en santé.

Tous les quotidiens sont désormais publiés en version numériques, certains conservant une version papier bien que celles-ci tendent à disparaître.

Les acteurs ont adopté divers modèles d’affaires et différentes stratégies entrepreneuriales au courant des dernières années.

Audiences

50% de la population adulte du Québec lit régulièrement un quotidien en semaine. En une semaine, ces journaux rejoignent près des trois quarts (73%) des Québécois.

Les Canadien·nes sont proportionnellement moins nombreux à s’informer de cette manière (42% / 66%)

Titres et accessibilité

Quatorze quotidiens sont publiés au Québec : onze payants et DEUX gratuits.

Hebdos régionaux

Le nombre de titres et le tirage des journaux desservant, chaque semaine en format papier, un ensemble de villages, une petite ville ou un quartier d’une grande ville a chuté de moitié depuis 2010.

Les hebdos régionaux proposent généralement une version numérique, mais la majorité sont distribués en format papier (dans les Publisacs notamment).

Les hebdos régionaux tirent 93% de leurs revenus de la publicité, mais les revenus de publicité sont en baisse de 54% depuis 2012.

Audiences

En 2021, 34% des Québécois·es de 18 ans et plus lisaient un hebdomadaire, qu’il s’agisse d’une version imprimée ou numérique, chaque semaine. Sur une base mensuelle, la proportion grimpe à 51%.

Les Canadien·nes sont proportionnellement plus nombreux à les consulter (42% / 56%).

Titres et accessibilité

Le nombre de titres de journaux locaux et régionaux e a chuté de 200 en 2010 à 104 en 2022. Le nombre d’exemplaires publiés a aussi chuté de moitié, passant de 6,2 M en 2011 à 2,9 M en 2020.

La presse hebdomadaire est aujourd’hui largement gratuite au Québec.

Magazines

Le nombre de titres et le tirage (y compris la fréquence de publication) des magazines a fortement diminué depuis les dernières années. Près du quart des lecteurs accèdent aux contenus des magazines que sur des plateformes numériques.

Les magazines ont perdu 84% de leurs revenus de publicité depuis 2012. La publicité constitue 36% de leurs revenus.

Audiences

On estime que 68% des Québécois·es consultent un magazine en format papier ou numérique chaque année. Ce taux a diminuié de 10% depuis 2018.

Il n’y a pas. de différence significative entre les marchés québécois et canadien. 

Titres et accessibilité

On estime qu’il y a 252 magazines différents publiés au Québec, soit 124 magazines grand public (dont des magazines pour des publics féminins, de cuisine ou d’alimentation, de science, de mode, de santé, de culture ou de sport), 92 magazines professionnels, 28 destinés à des communautés ethniques et 8 magazines agricoles. 

La majorité de ces magazines sont payants.

Mieux réformer pour mieux résister

Le passage à un environnement médiatique toujours plus numérique, mobile et social signifie également que la forme des interventions politiques développées et conçues pour les environnements des médias du XXe siècle auront besoin de réformes pour être effectifs et efficaces dans ceux du XXIe siècle, notamment en ce qui concerne

(1) la lutte effective contre les défaillances potentielles du marché dans la production du bien public que permet un journalisme professionnel, indépendant, et de qualité,

(2) la garantie d’un marché des médias efficace et concurrentiel et

(3) l’assurance que les citoyens développent une connaissance des médias et de l’information suffisante pour naviguer efficacement et dans leur propre intérêt dans l’environnement médiatique

Des médias de plus en plus numériques

Depuis le milieu des années 2000, tous les grands quotidiens et les hebdos ont développé des sites et des applications qui permettent d’accéder aux contenus numériques qu’ils produisent.

Certains sont entièrement gratuits (La Presse+) et d’autres proposent un échantillon de contenus gratuits avant de proposer une formule d’abonnement (Le Devoir, Le Soleil, La Tribune, etc.).

Les magazines et différents éditeurs assurent aussi une forte présence sur le web (Ricardo, Protégez-vous, Urbania, L’actualité, etc.). Sans compter les arégateurs de nouvelles des autres médias audiovisuels (Ici Radio-Canada, 98,5FM, TVA Nouvelles, etc.). Différents médias locaux ou de niche publient aussi et souvent exclusivement sur le web.

Finalement, les médias québécois sont en compétitions avec les marques internationales, sans compter que la publicité numérique (hors média) a augmenté de 212% depuis 2012.

Viser la « maturité numérique »

 Comme la plupart des grands journaux traditionnels en Europe ou aux États-Unis, les journaux d’ici se sont penchés sur six grands types de solutions depuis une dizaine d’années pour réduire leurs dépenses et diversifier leurs revenus :

    •  des compressions dans les services fonctionnels et dans les salles de nouvelles;
    •  le développement de technologies et de logiciels pour les annonceurs;
    •  la production événementielle et les produits dérivés (balados, voyages, etc.) pour leurs “membres”, leurs abonnés;
    •  la publicité native (contextuelle) ou le contenu de marque;
    •  la philanthropie et le sociofinancement;
    •  les aides publiques (en dernier recours).

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