Université du Québec à Montréal | École des médias

Alternatives : écologie politique, décroissance et commun

Comment confronter les crises multiples qui se présentent à nous, quelles sont les pistes de solutions qui s’imposent pour éviter ce que plusieurs scientifiques et essayistes nomment déjà l’effondrement?

Pour contrer les problèmes provoqués par notre mode de production et de consommation (bref, l’économie capitaliste), il faudrait donc s’attaquer aux caractéristiques principales qui définissent nos économies : profit, travail, croissance, propriété privée. 

Les crises appellent des changements radicaux, en d’autres termes, une révolution. Mais quelle révolution ? Et comment peut-on l’accomplir? 

 

Relever les défis de l'antropocène

« L’écologie politique, dont l’originalité est de se poser à la fois comme rationnelle et idéaliste, insiste sur le caractère inouï de la crise écologique dans la mesure où celle-ci n’est pas causée par une catastrophe naturelle, mais bien par un système économique créé de main d’homme. Le défi écologiste consiste à limiter politiquement l’activité technico-économique au nom de la liberté de tous. »

L'Écologie politique contre l'économie politique

« Pour l’écologie politique, un des premiers objectifs anti-productivistes consiste à se dégager du cycle infernal de la démesure technologique et financière. C’est ainsi que plusieurs écologistes proposent les idées de décroissance, d’économie locale ou de souveraineté alimentaire. Nous pensons également qu’il faille entrevoir des modifications du droit de propriété, notamment en ce qui a trait à l’existence des sociétés par actions (corporations), lesquelles jouissent de maints droits et privilèges, mais n’ont que peu de devoirs face à la société. »

Une révolution ?

« Révolution ne signifie ni guerre civile, ni effusion de sang. La révolution est un changement de certaines institutions centrales de la société par l’activité de la société elle-même : l’auto-transformation explicite de la société, condensée dans un temps bref. »

La décroissance

« La société de croissance peut être définie comme une société dominée par une économie de croissance, précisément, et qui tend à s’y laisser absorber. La croissance pour la croissance devient ainsi l’objectif primordial, sinon le seul, de la vie. Une telle société n’est pas soutenable parce qu’elle se heurte aux limites de la biosphère. Si l’on prend comme indice du “poids” environnemental de notre mode de vie “l’empreinte” écologique de celui-ci en superficie terrestre nécessaire, on obtient des résultats insoutenables tant du point de vue de l’équité dans les droits de tirage sur la nature que du point de vue de la capacité de régénération de la biosphère. »

« La société de croissance n’est pas souhaitable pour au moins trois raisons : elle engendre une montée des inégalités et des injustices, elle crée un bien-être largement illusoire ; elle ne suscite pas pour les « nantis » eux-mêmes une société conviviale, mais une anti-société malade de sa richesse. L’élévation du niveau de vie dont pensent bénéficier la plupart des citoyens du Nord est de plus en plus une illusion. Ils dépensent certes plus en termes d’achat de biens et services marchands, mais ils oublient d’en déduire l’élévation supérieure des coûts. Celle-ci prend des formes diverses, marchandes et non marchandes : dégradation de la qualité de vie non quantifiée mais subie (air, eau, environnement), dépenses de “compensation” et de réparation (médicaments, transports, loisirs) rendues nécessaires par la vie moderne, élévation des prix des denrées raréfiées (eau en bouteilles, énergie, espaces verts…). »

cercle vertueux de la Décroissance

Réévaluer
remettre en cause la valeur socialement accordée aux comportements néfastes et nocifs et revaloriser les aspects essentiels à la vie en harmonie avec le vivant

Reconceptualiser
redéfinir les concepts centraux de notre société, notamment ceux de richesse, de pauvreté, de besoin, de rareté…

Restructurer
modifier le système et les activités de production pour répondre à de nouveaux objectifs (remplacer le profit par la vie)

Relocaliser
opter pour des pratiques de production et de consommation régionales en équilibre avec les écosystèmes

Redistribuer
procéder à un partage équitable des richesses sur un mode coopératif plutôt que compétitif de manière à assurer l’accès commun aux ressources essentielles 

Réduire
diminuer l’empreinte écologique de nos activités de production et de consommation

Réutiliser
prioriser la durée de vie, la réparation, la récupération et le réemploi dans toutes nos sphères d’activités économiques

Recycler
traiter nos déchets de manière à ce qu’ils puissent alimenter la production future

DÉCROISSANCE =
TRAVAILLER MOINS
+ VIVRE MIEUX

« la réduction peut-être la plus importante et la plus urgente aujourd’hui, c’est certainement la réduction du temps de travail.  »

La réduction du temps de travail est d’abord une nécessité, mais constitue aussi une condition et une conséquence de la décroissance.

Il faut remplacer l’idée simpliste de la productivité, travailler plus pour gagner plus, par une conception plus humaniste du travail, travailler moins pour vivre mieux.

Au-delà des mèmes proto-communistes de poteux (voir ci-contre), la question du potentiel technologique en regard de l’amélioration des conditions et de la diminution du temps de travail est l’une des principales questions économiques de tout projet de décroissance.

«[…] le développement technologique devrait être orienté de manière à satisfaire nos besoins plutôt qu’à en inventer continuellement de nouveaux. Il faut donc reprendre du socialisme l’idée de diminuer le temps de travail. Il en découlerait plusieurs bienfaits : les besoins de transport diminueraient, la baisse du stress et de la pollution deviendrait le fondement d’une médecine préventive, et nous aurions plus de temps à consacrer à la vie familiale, culturelle, politique et spirituelle. Mais pour ce faire, une réorganisation politique de la société est nécessaire afin de mettre un terme à la mouture social-démocrate du productivisme, qui aspire à ériger la justice sociale au moyen de la surconsommation de masse. »

Les 4 piliers de la réhumanisation de la valeur travail

Dignité

Reconnaître que la dignité n’est pas liée au travail que l’on exerce (ou que l’on n’exerce pas) et que toute personne a droit à la dignité, à être traitée avec respect en regard de ses capacités, de ses aspirations ou de ses besoins.

Compassion

Aborder les personnes avec compassion en respectant leurs forces, leurs faiblesses, et en reconnaissant que le travail est source de blessures (physiques, psychiques).

Loisir

Reprendre du temps pour faire ce que l’on veut, tout en priorisant des loisirs productifs, créatifs et non aliénants

Solidarité

Reconnaître que mon intérêt individuel est lié à l’intérêt de la collectivité et que de faire preuve de solidarité par mon travail, dans mon travail et dans mon loisir contribue à améliorer la vie en communauté

La décroissance:
une utopie ?

L’utopie véritable est celle de croire que nous pouvons soutenir une croissance infinie dans un monde fini.

La décroissance est un horizon inévitable. Elle sera soit choisie, ou subie.

Il faut, dès maintenant, inventer de nouvelles manières de voir le monde. 

Cela passe d’abord par la reconquête de notre pouvoir de décider ensemble de nos manières de vivre, et de contrer les systèmes économiques et technoéconomiques qui alimentent la croissance infinie.

La stratégie pour la décroissance doit viser un effet de seuil : c’est la stratégie de « masse critique » qui combine trois actions :

Bâtir des alternatives

Militer pour le changement

Imaginer / penser d'autres modes de vie

Sur la piste des communs

Ressources (ou système de ressources) autogérées et autogouvernées par une communauté qui se dote de processus de gouvernance établissant des règles visant à en garantir la préservation.

  • Un commun est un espace institutionnel délimité par des règles pratiques élaborées collectivement.
  • C’est un espace à l’intérieur duquel l’usage commun prime sur le droit de propriété.
  • L’usage du commun est soumis à la délibération et à la décision collective.
  • Une fois institué, un commun est inaliénable et inappropriable.
  • Les communs ne peuvent être institués et gouvernés que par la mise en œuvre du principe du commun, c’est-à-dire de la démocratie.

« Par “communs”, j’entends une ressource que chacun à l’intérieur d’une communauté pertinente peut utiliser sans chercher à demander la permission de quelqu’un d’autre. Une telle permission n’a pas besoin d’être requise, car la ressource n’est pas soumise à un contrôle légal (elle est, en d’autres termes, dans le domaine public). Ou alors, elle n’a pas besoin d’être requise, car la permission d’utiliser la ressource a déjà été accordée. Dans chaque cas, utiliser ou construire sur cette ressource ne requiert rien de plus que l’accès à la ressource elle-même. »

Lessig (1999, p.198)

3 types de communs

Communs
écologiques

Les ressources naturelles, la biodiversité, les écosystèmes.

Communs
sociaux

Institutions sociales qui assurent la protection des individus.

Communs
informationnels

Communs de la connaissance, culturels, médiatiques.

Les communs informationnels désignent « des ressources intangibles qui consistent en des collections d’informations et de connaissances, mais aussi des produits élaborés à partir de cette matière informationnelle » 

D'après Cornu, Orsi, & Rochfeld, 2017, p. 275

Deux spécificités des communs informationnels, par rapport aux communs écologiques:

  1. Ils sont non-rivaux : leur consommation par un agent ne réduit pas la quantité disponible pour les autres
  2. Ils sont facilement capturables dans l’environnement numérique

 On peut distinguer minimalement 2 types de communs numériques :

en libre-accès (open commons ou open-access commons) : usagers en très grand nombre / aucune communauté ne gère directement la ressource / l’accès et les droits sont garantis par la réglementation, la loi (donc la puissance publique)

gérés (managed commons, online creation communities) : communautés auto-organisées qui protègent et garantissent l’accès à tous à partir de règles qui distribuent un certain nombre de droits et d’obligations entre les contributeurs / mode de gouvernance qui garantit l’enrichissement de la ressource

L’institution de communs n’implique pas la suppression de la propriété privée et n’impose pas la suppression du marché.

Elle impose leur subordination aux intérêts communs et la limitation du droit de propriété et du marché :

    • en soustrayant certaines choses à l’échange commercial pour les réserver à l’usage commun, 
    • et en supprimant le droit d’abuser d’une chose qui est généralement consenti à ses propriétaires.
D'après Dardot et Laval (2014)

Les communs informationnels sont toutefois facilement capturés par des entreprises parasitaires qui les détournent à des fins de valorisation économique (plateformes d’infomédiation).

Le déplacement des bénéficiaires de la valeur des communs est susceptible:

    •  à s’opposer à la logique du commun
    •  à entraver son enrichissement et sa multiplication
    •  à mettre en danger sa pérennité 

 « Une culture libre soutient et protège les créateurs et les innovateurs. Elle fait cela directement en octroyant des droits de propriété intellectuelle, mais elle le fait aussi indirectement en limitant la portée de ces droits, pour garantir que les créateurs et les innovateurs qui viennent ensuite demeurent les plus libres possible du contrôle de ce qui les a précédés. Une culture libre n’est pas une culture sans propriété. »

Lessig (2004)

Pour certains auteurs, comme Dardot et Laval, le projet que nous devons adopter est de construire une politique du commun en faisant du commun le principe de la transformation du social.

Pour y parvenir, il faudra :

      • opposer le droit d’usage à la propriété
      • faire des services publics des institutions du commun
      • instituer l’entreprise commune
      • instituer les communs mondiaux
      • instituer une fédération des communs

Pour ces auteurs, le commun est le principe de l’émancipation du travail et l’association, dans l’économie, doit préparer la société du commun, laquelle permettrait de fonder la démocratie sociale.

« Pour concevoir la société de décroissance sereine et y accéder, il faut littéralement sortir de l’économie. Cela signifie remettre en cause sa domination sur le reste de la vie, en théorie et en pratique, mais surtout dans nos têtes. »

FIN

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