LES FONDEMENTS
THÉORIQUES
DES INDUSTRIES
CULTURELLES

DE L'INDUSTRIE CULTURELLE...

« L’expression “industrie culturelle” a été forgée par Adorno et Horkheimer (1947; 1974) face aux menaces appréhendées de l’application des techniques de reproduction industrielle à la création et à la diffusion massive des œuvres culturelles.

[…] dans leurs premières esquisses, ils utilisaient les termes culture de masse, qu’ils ont par la suite abandonnés au profit de l’expression “industrie culturelle” pour éviter de faire croire “qu’il s’agit de quelque chose comme une culture jaillissant spontanément des masses mêmes, en somme la forme actuelle de l’art populaire. Or de cet art, l’industrie culturelle se distingue par principe (Adorno, 1964:12-18)”. »

Gaëtan Tremblay (2008)

Dans les années 1940-50, le cinéma constitue l’un des rares secteurs de la production culturelle où l’investissement capitaliste et la division du travail sont très avancés, suivant le modèle établi à Hollywood.

Les autres secteurs se caractérisaient encore par la production de type artisanal, où l’individualisation de l’œuvre conservait encore toute son importance.

Le concept d’industrie culturelle se forme dans ce contexte d’émergence des médias de diffusion massive (radio, télé).

Le concept d’industrie culturelle servait alors

« à l’analyse critique de la standardisation du contenu et de la recherche de l’effet qui se situent, selon les théoriciens de l’École de Francfort, aux antipodes de ce qu’est fondamentalement l’œuvre d’art. Pour eux, l’application des méthodes industrielles au champ de la culture aboutirait à la mort de l’art. »

Gaëtan Tremblay (2008)

... AUX INDUSTRIE CULTURELLES

« Si ce courant de pensée compte encore des adeptes, l’expression industries culturelles, dont l’usage s’est généralisé au cours des années 70 et 80, n’évoque plus nécessairement une telle perspective catastrophiste. Après tout, malgré le développement fulgurant des industries culturelles depuis le dernier quart du XIXe siècle, on peut difficilement soutenir qu’il s’est accompagné d’une extinction de l’activité créatrice dans les différents secteurs de pratiques artistiques. Tout au contraire, les remises en question des conventions et des canons de la création artistique n’ont jamais été aussi fréquentes que depuis la fin du XIXe siècle et de nouveaux langages, de nouvelles règles d’expression ont foisonné, comme jamais auparavant dans l’histoire, depuis les débuts de la Révolution industrielle. »

Gaëtan Tremblay (2008)

DÉFINITION(S)

« On entendra ici par industries culturelles un ensemble de branches, de segments et d’activités industrielles auxiliaires qui produisent et distribuent des marchandises à contenu symbolique, conçues par un travail créatif, organisées par un capital qui se valorise et destinées aux marchés de consommation, et qui joue aussi un rôle de reproduction idéologique et sociale. » 

Ramon zallo (1988)

« Les industries culturelles peuvent donc être définies comme l’ensemble en constante évolution des activités de production et d’échanges culturels soumises aux règles de la marchandisation, où les techniques de production industrielle sont plus ou moins développées, mais où le travail s’organise de plus en plus sur le mode capitaliste d’une double séparation entre le producteur et son produit, entre les tâches de création et d’exécution. »

Gaëtan Tremblay (2008)

La séparation entre les tâches de création et d'exécution

DIFFÉRENTS TYPES DE TRAVAILLEURS·EUSES CULTURELS

  • Compositeurs·trice·s de musique
  • Parolier·ière·s
  • Scénaristes
  • Réalisateur·trice·s
  • Écrivain·ne·s
  • Illustrateur·trice·s
  • Rédacteur·trice·s
  • Artisan·ne·s de métiers d’art
  •  Arrangeur·euse·s de musique
  • Choristes
  • Metteur·euse·s en scène
  • Interprètes (musique, danse, etc.)
  • Acteur·trice·s
  • Figurants
  • Chorégraphes
  • Concepteur·trice·s d’éclairage, de costumes, de décors
  • Directeur·rices photo, Monteur·teuse·s,
  •  Traducteur·trice·s
  • Graphistes, Stylistes
  • Maquilleur·euse·s, Coiffeur·euse·s
  • Opérateur·trice·s de caméra
  • Directeur·trice·s de production, de tournée
  • Comptables
  • Attaché·e·s de presse, Publiciste·s
  • Régisseurs·euse·s
  • Électricien·ne·s, Machinistes
  • Responsables logistiques, de la sécurité
  • Cantinier·ière·s
  • Chauffeur·euse·s, Transporteur·euse·s, Grutier·ière·s

La séparation entre LE PRODUCTEUR ET SON PRODUIT

LES BIENS CULTURELS INDUSTRIALISÉS

« Un bien culturel est un bien symbolique qui, parce qu’il est porteur d’identité, de valeurs et de sens, ne peut pas être traité comme n’importe quel autre bien.

Ce point de vue, né de l’anthropologie et de la sociologie et abondamment repris par l’UNESCO, notamment, constitue un argument solide en faveur d’un traitement particulier à accorder aux biens culturels. »

Marcelle Ferron (1975) Les Dunes

DES BIENS TRIPLEMENT SYMBOLIQUES

1. Par le coefficient d’imaginaire qu’ils véhiculent, qui tend à les convertir en médias et moyens de communication et qui en surdétermine la valeur économique; 

2. Par le profit symbolique que ces mêmes produits promettent à leurs consommateurs et que, dans une certaine mesure, ils leur procurent lorsque les symboles sont utilisés à bon escient; 

3. Par les conditions dans lesquelles [i] la mise au point de ces produits, [ii] la mobilisation des ressources nécessaires à leur conception, [iii] les modalités de leur production et [iv] la prévalence de la recherche systématique de la nouveauté visent à aligner – sans d’ailleurs forcément y parvenir toujours – les facteurs matériels et infrastructurels sur les impératifs de la gestion des (et par les) symboles.

« Un bien culturel est un bien d’information, c’est-à-dire, un produit de la créativité humaine, une idée ou un assemblage d’idées, un bien intangible fixé sur un support physique. »

Les biens culturels sont des biens d’expérience, puisqu’on peut difficilement estimer leur qualité sans les avoir consommés.

Tous les biens culturels ne sont pas nécessairement des produits industriels : certains sont des biens immatériels (danse, idées, savoirs), d’autres des biens historiques (bâtiments, artéfacts, images), des œuvres d’art uniques (peintures, sculptures, performances).

Les biens culturels, du moins en partie, sont des biens collectifs qui ne peuvent pas tout à fait être appropriés. En théorie, personne ne peut empêcher quiconque de consommer un bien culturel, de posséder un savoir, de connaître une information.

Ce sont des biens non exclusifs ou non rivaux : la consommation par une personne ne prive pas les autres personnes de consommer le même bien.

Parce qu’ils sont distribués sur des supports physiques, cependant, on peut cependant s’approprier les biens culturels, en faire des biens privés et ainsi en contrôler l’accès, tarifer la consommation. 

Tous les biens culturels, matériels comme immatériels, peuvent devenir des marchandises dans un système organisé autour de l’économie de marché (capitalisme).

Ces « marchandises à contenu symbolique » sont des biens ou des produits culturels qui s’échangent et sont consommés par différents publics dans deux principaux marchés des biens culturels :

DEUX MARCHÉS POUR LES BIENS CULTURELS

Marchés d'œuvres uniques

La valeur monétaire d’une œuvre unique, non reproductible (ou volontairement non reproduite) – ou dans certains cas de l’original ou d’une copie rare d’une œuvre reproductible (manuscrit, maquette, etc.) – s’établit généralement sur les bases de la rareté, par les principes de la loi de l’offre et de la demande.

En dehors de toute valeur esthétique ou sentimentale, la valeur d’échange, dans le marché de l’art, n’a pratiquement aucune corrélation avec la valeur d’usage d’une œuvre, pas plus qu’avec la valeur du travail accompli. 

Comedian Maurizio Cattelan (2019) | Cette oeuvre d’art éphémère, présentée dans le cadre du Art Basel de Miami Beach, a été vendue en trois exemplaires pour la somme de 120 000 US$ chaque, avant d’être décrochée du mur et mangée dans une performance par l’artiste David Datuna intitulée Hungry Artist. La copie originale de l’oeuvre (i.e. le certificat d’authenticité et les diagrames d’instructions pour l’installation) a été offerte au Solomon R. Guggenheim Museum de New York.

Marchés d'œuvres REPRODUITES

Les œuvres destinées à la reproduction en de multiples copies se caractérisent par un investissement, souvent risqué, à des fins de valorisation du capital investi. La production et la reproduction de ces œuvres est mécanisée à plusieurs niveaux, et la création s’inscrit dans des processus industriels qui impliquent diverses formes de division du travail. C’est ce qu’on comprend généralement sous l’expression industrialisation de la culture, ou industrie(s) culturelle(s).

INDUSTRIALISATION DES BIENS CULTURELS

L’industrialisation réfère au processus de production, de reproduction et d’échange d’objets et de services soumis aux règles de la marchandisation et impliquant  :

      • un investissement significatif aux fins de la valorisation du capital (réaliser une plus value, des bénéfices, des profits, générer des dividendes) ;
      • l’application de méthodes de production industrielles, plus ou moins mécanisées (technique) et plus ou moins systématisées (management) ;
      • la division du travail, caractérisée notamment par la séparation entre le producteur et son produit, entre les tâches de création et d’exécution.

caractéristiques des biens culturels industrialisés

Selon Marc Ménard (2004)

1.

Importance du travial de création

Tout bien symbolique, toute oeuvre artistique, tout produit culturel implique un certain travail de création.

Le processus de création échappe encore largement à la mécanisation.

C’est un processus aléatoire qui résiste à la systématisation et au contrôle, malgré l’adoption de modèles de division du travail et de mécanismes d’encadrement du travail créatif.

2.

Chaque œuvre est un prototype

Les biens culturels sont tous des prototypes : chaque création est unique et on peut difficilement les substituer les unes aux autres. 

Ce caractère confère une grande importance au créateur ou à la créatrice, ou à la figure qui représente l’originalité de la création (auteur, réalisateur, artiste principal, etc.).

Comme pour tout prototype, cependant, on n’est jamais tout à fait certain de son efficacité, de sa réception, de son potentiel réel… 

3.

Renouvellement rapide / court cycle de vie

Parce que la culture est un incessant processus de redéfinition du sens, le marché de la culture exige un renouvellement constant et rapide des produits culturels.

La quantité de biens culturels produits est multipliée à chaque jour et l’offre de nouveaux produits est renouvelée sans cesse.

Cela contribue à accélérer l’obsolescence de plus en plus rapide d’une grande partie de ces biens, ce qui contribue à diminuer la durée du cycle de vie de l’ensemble des biens créés.

Le succès est rare mais peut être considérable dans des marchés où « le gagnant rafle tout ».

4.

non exclusivité et non rivalité des biens culturels

Non exclusivité : l’acte de consommation ne détruit pas l’oeuvre et et n’empêche pas les autres de consommer le même bien culturel.

Non rivalité : la consommation d’un bien culturel ne «comble» pas nos désirs et ne nous empêche pas de consommer d’autres biens culturels, au contraire.

La consommation culturelle est plus une question d’accès et de partage que d’appropriation matérielle. Dans une large part, ce sont des biens immatériels dont la mise à disposition se fait selon des formes variées qui représentent autant de rapports différents du contenu au support.

5.

Demande variable et imprévisible

Les biens culturels sont des biens d’expérience et le producteur, comme le consommateur, ignore tout de la valeur du produit avant qu’il n’ait été  consommé. La demande est variable et imprévisible, et il ne faut parfois pas grand chose pour passer du succès au flop… 

Pour les producteurs, chaque lancement de produit est un risque.

6.

Reproductibilité particulière

Les coûts fixes de la production, permettant de produire la copie originale, sont généralement assez importants, et l’essentiel des dépenses de production a lieu avant la sortie du produit.

Par contre, le coût de la reproduction, le coût marginal, est généralement bas. On parle de rendements d’échelle croissants, puisque la marge de rentabilité de chaque copie supplémentaire produite augmente progressivement selon le nombre de copies vendues.

7.

Industries du support et du contenu

Les biens produits par les industries culturelles nécessitent à la fois un support et un contenu.

La notion d’industries culturelles désigne principalement celles du contenu: la production et distribution des livres, des journaux, de la musique, de films, d’émissions de radio ou de télévision, de logiciels, etc.

Les industries de support (la fabrication de caméras, de téléviseurs, d’enceintes audio, etc.) sont comme les autres industries de fabrication de biens de consommation.

L’évolution des industries de support et de contenus sont interreliées et interdépendantes.

8.

un marché de travail atypique

Les emplois et le marché de l’emploi en culture présentent des particularités par rapport aux autres secteurs industriels.

Règle générale, les artistes reçoivent une rémunération en fonction du succès de leur production, sous forme de redevances, et variable en fonction de leurs précédents succès et de la taille du marché rejoint.

Autour du travail principal de création gravitent d’autres types d’artisans et de travailleurs très spécialisés (production, technique, costumes, personnel des salles, etc.), qui reçoivent généralement un salaire en fonction des heures travaillées ou des services rendus.

En grande partie, les artistes, comme les artisans de la culture et des médias, agissent à titre de travailleurs autonomes – ou tout comme – et leurs revenus dépendent de contrats, de subventions et de ventes imprévisibles et non récurrentes.

Enfin, le travail de création et les métiers qui l’entourent ne sont pas des jobs comme les autres, et, pour un grand nombre de raisons on peut dire que there’s no business like showbusiness

Activités de production et d’échanges culturels soumises aux règles de la marchandisation

PROCESSUS D'INDUSTRIALISATION
DE LA CULTURE ET DES COMMUNICATIONS

Les industries culturelles désignent, en somme, un ensemble de processus visant la production de biens symboliques et à leur mise en en circulation à l’échelle locale, nationale ou internationale, à des fins de valorisation économique et symbolique.

Les industries culturelles sont souvent associées aux processus de production des contenus (on parle parfois des industries du contenu) et les industries des communications aux processus de diffusion et de distribution de ces contenus… bien que la frontière entre les deux soit bien souvent difficile à tracer.

Chaîne classique de production industrielle des biens culturels*

Développement.
Création.

Idées, recherche, conception, écriture, test, rodage, financement

Production.
Édition.

Planification, Fabrication, Réécriture, Répétitions, Représentation, Tournage, Montage, Impression

Distribution.
Diffusion.

Mise en marché, Publicité, Promotion, Commercialisation, Présentation, Transmission, Pérennisation ​

Consommation.
Usages.

Écoute (active / passive), Expérience, Interaction, Reprise, Inspiration, Idées

*Bien que très utile pour réfléchir les industries, ce modèle ne représente pas tout à fait la réalité.

Le cycle de vie d'un produit*

Lancement

Primoadoptants

Croissance

Majorité précoce

Maturité

Majorité tardive

Déclin

Retardataires

*Idem.

CC (BY-NC-ND) | 2020-2023 – Philippe-Antoine Lupien | UQAM