Université du Québec à Montréal | École des médias

Salvador Dali

Économie politique du XXe siècle

L’histoire du XXe siècle peut être sommairement comprise comme l’histoire de l’affrontement entre les idées développées par les économistes des siècles qui précèdent : entre le libéralisme et le socialisme, le capitalisme et le communisme… ou plutôt entre les différentes formes qu’adopteront ces -ismes.

Cette partie du cours vise à dresser un portrait (très) sommaire des principaux événements politiques et économiques qui nous conduisent jusqu’à aujourd’hui… 

1900-1918

verre pomme livres (pablo Picasso, 1911)

Le début du XXe siècle est souvent qualifié, en occident, de «belle époque» ; cela dépend pour qui. En 1900, les grandes nations occidentales, dont la Grande-Bretagne et la France principalement, contrôlent politiquement et économiquement la très grande majorité du monde. La haute bourgeoisie se partage pratiquement toute la richesse mondiale (ex. : aux États-Unis, en 1922, les 10 % les plus riches concentrent à eux-seuls près de 85 % de toute la richesse du pays). Les classes populaires des pays occidentaux, comme les populations des colonies, souffrent de très grande pauvreté. Quant aux États indépendants d’Asie ou d’Amérique latine, ils sont généralement soumis à l’influence de nations impérialistes et des intérêts des grandes entreprises capitalistes qui exploitent les ressources naturelles de ces régions.

Hommes à chapeau
(Paris, fin du Xixe)

1914-1918

En 1914, une première grande crise éclate sous la forme de la Première Guerre mondiale qui oppose entre eux les États impérialistes, capitalistes et fortement militarisés d’Europe. La victoire des Alliés, principalement les grands empires coloniaux (Empire colonial français, Empire britannique, Empire du Japon), face aux Empires centraux (Empire austro-hongrois, Empire allemand, Empire ottoman), coûtera la vie à près de vingt millions de personnes et endettera lourdement les nations belligérantes, ruinant les États perdants. 

1917

En février 1917, la monarchie tsariste est renversée dans une Russie fortement affaiblie par la guerre et une importante famine. Chez les révolutionnaires, notamment les bolcheviks Lénine et Trotski, et dans les nombreux soviets, des comités de travailleurs organisés, les idées du marxisme s’imposent. En octobre, le parti bolchevik prend le pouvoir et Lénine annonce la «construction de l’ordre socialiste» : il abolit la propriété privée, confiant aux soviets la responsabilité d’assurer le partage. 

«soit la mort du capital, soit la mort sous le talon du capital»

1917

Les États-Unis entrent tardivement en guerre en avril 1917, après avoir fortement bénéficié du commerce avec les pays en guerre, notamment grâce à la production d’acier. Les États-Unis sortiront cependant de la guerre avec des centaines de milliers morts, soit sur les champs de bataille, ou causées par la grippe espagnole que ramènent avec eux les soldats. L’économie capitaliste de guerre fait cependant des vainqueurs en Amérique : les grandes institutions financières américaines qui consentent d’importants prêts aux nations alliées pour financer les dépenses de la guerre, ainsi que les grandes entreprises qui bénéficient fortement des investissement de l’État américain pour soutenir les efforts de guerre.

Publicité pour les Bonds de la liberté permettant de financer la guerre

1918-1928

Les années 1920 semblent contraster avec les horreurs de la guerre, des épidémies et des famines qui lui succédèrent : en France, les mœurs se libèrent quelque peu durant ces «Années folles» qui voient se multiplier les cabarets et les salles de concert; en Allemagne, la pensée s’enrichit du développement des sciences humaines durant ces «Goldene Zwanziger»; aux États-Unis, les «Roaring Twenties» pavent la voie à la consommation de masse, encouragée par le développement des industries culturelles, surtout du cinéma, et de la publicité.

Pour stimuler la demande et écouler les nouveaux produits de consommation qui sortent des usines modernisées, plus productives, les grands capitalistes augmentent progressivement les salaires des ouvriers. Ce revenu supplémentaire permet aux ouvriers de se procurer de nouveaux biens de consommation jusqu’alors réservés aux classes les plus fortunées, notamment des automobiles. Parallèlement, le mouvement ouvrier s’organise et parvient à obtenir une réduction du temps de travail. Ce temps libéré permet aux classes populaires de pratiquer de nouveaux loisirs, notamment aller au cinéma.

Les acquis des ouvriers se gagnent durement : les années qui suivent la Grande Guerre sont marquées par de nombreuses manifestations et soulèvements populaires (souvent réprimés violemment) pour réclamer de meilleures protections, comme le droit à la syndicalisation, et défendre certains droits démocratiques (ex. : liberté d’expression, suffrage universel). Ces mouvements sont parfois inspirés des idées marxistes et suivent l’exemple des nombreux mouvements ouvriers qui s’organisent un peu partout dans les pays occidentaux. Les gouvernements capitalistes voient généralement d’un mauvais œil ces mouvements qu’ils combattent en les opposant aux valeurs du capitalisme, les associant au socialisme et au communisme, et plus spécifiquement aux bolcheviks et soviets de la jeune URSS. S’instille alors une première phase de la «peur rouge».

1918

Car en Russie, pour contrer une guerre civile et faire face aux attaques militaires des grands États nations capitalistes, le «communisme de guerre» est établi en 1918. En décembre 1922, l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), qui fédère la Russie et ses états limitrophes à l’Ouest, est fondée. 

“Sous la bannière de Lénine – En avant la révolution d'octobre”

Les années qui suivent sont toutefois marquées par une importante crise humanitaire et économique, caractérisée par une série de disettes et de famines, qui conduisent Lénine à établir une «Nouvelle politique économique» (NEP), laquelle rétablit certaines formes de propriété privée. Cette ouverture au libéralisme rencontre une certaine opposition au sein du parti communiste (ancien parti bolchevik) au pouvoir. Parallèlement, la santé de Lénine diminue rapidement et il décède en 1924. S’amorce alors une course à sa succession qui culminera en… 

1929

Successeur de Lénine, Joseph Staline s’impose comme chef incontesté du Parti communiste en 1929, établissant progressivement un régime totalitaire comptant sur l’imposante bureaucratie pour asseoir son pouvoir dans toute l’URSS. Il abolit la NEP et instaure un processus de collectivisation des terres tout en amorçant une importante phase d’industrialisation.

mardi 29 octobre 1929
devant la bourse de new york

1929

Pendant ce temps, aux États-Unis, le krach boursier de 1929 met fin à la bulle spéculative et à l’essor économique fulgurant des années 1920, plongeant les États-Unis dans la première grande crise économique capitaliste : la Grande Dépression.

La Grande Dépression découle entre autres des effets combinés d’une trop grande concentration de la richesse, favorisant la surproduction et la chute de la consommation, d’une crise spéculative, encouragée par les très faibles taux d’intérêt et une absence de régulation des marchés boursiers.

Cette crise économique entraîne dans son sillage un chômage massif qui s’étendra des États-Unis jusqu’en Europe, où les conséquences économiques de la Grande Guerre affectent encore certaines économies, notamment celle de l’Allemagne qui doit rembourser une imposante indemnisation aux pays vainqueurs, lesquels se sont lourdement endettés auprès des États-Unis durant la guerre. Elle affecte aussi lourdement les autres États des Amériques dont l’économie repose sur les relations économiques avec le Nord. 

1933

En 1933, Franklin D. Roosevelt se fait élire à la présidence des États-Unis en proposant un New Deal aux états-uniens : pour sortir de la crise, il propose une nouvelle politique monétaire plus interventionniste et le financement public d’un vaste programme d’infrastructures. 

14 août 1935, Roosevelt signe le Social Security Act

21 mars 1933, Adolf Hitler s'incline devant le président du Reich Paul Von Hindenburg

1933

De l’autre côté de l’Atlantique, les États adoptent également des politiques protectionnistes et interventionnistes; cette situation est poussée à ses extrêmes dans les pays vivant sous des dictatures (Italie, Espagne, URSS). 

En Allemagne, les conséquences de la crise de 1929, la montée des politiques protectionnistes et à la pression de la dette alimentent l’insatisfaction et contribuent à l’accession d’Adolf Hitler au poste de chancelier.

1939-1945

Il faudra attendre une troisième grande crise, la Seconde Guerre mondiale, pour que l’économie américaine se rétablisse, dopée par l’effort de guerre, alors que les États européens plongent dans le conflit le plus chèrement payé de l’histoire. La Seconde Guerre mondiale entraînera dans la mort de plus de 55 millions de personnes, d’abord, et provoquera une destruction majeure des infrastructures, ensuite. Afin de financer dépenses de guerre et assumer les coûts de la reconstruction, les pays auront massivement recours à l’emprunt. Les États-Unis deviennent les principaux créanciers des pays européens occidentaux, alors que les pays du Caucase et de l’Est européen intègrent progressivement le giron de la fédération soviétique, de force ou par nécessité.

Économie d'après guerre

Après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe est en ruines et les populations, décimées, sont fortement affaiblies. L’esprit est toutefois à la reconstruction et, malgré une vive tension politique entre les régimes capitalistes et les régimes communistes, on cherche à éviter un nouveau conflit international. 

À l’Ouest, deux personnalités caractérisent la manière dont s’organise la réponse économique à la Seconde Guerre mondiale :

Henry Ford

Le système de production développé par Henry Ford, le Fordisme servira de modèle industriel aux États-Unis, puis ailleurs.

En résumé le Fordisme repose sur :

  • Une plus forte division du travail dans des installations faites pour la production en série de biens standardisés;
  • Un meilleur contrôle du temps de production des ouvriers par une nouvelle classe de managers;
  • L’augmentation du salaire des employés afin d’augmenter leur consommation et assurer la stabilité du personnel.

L’application de ce modèle entraîne une hausse de la production, de la productivité et de la consommation, tout en contribuant à réduire les coûts de production.

Pour les travailleurs, et les travailleuses de plus en plus nombreuses, cela implique une charge de travail plus monotone, voire machinale, de plus en plus contrôlée et standardisée.

John Meynard Keynes

Haut fonctionnaire britannique, John Meynard Keynes élabore une nouvelle théorie qui inspirera fortement les mesures de relance économiques adoptées par les États capitalistes, d’abord durant l’entre-deux guerres, et de manière plus importante après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’au début des années 1970.

En résumé, Keynes réfute certaines des «lois» économiques des auteurs classiques en proposant que le marché du travail n’est pas simplement déterminé par l’idéal d’équilibre de l’offre et la demande, mais est fortement lié à la demande effective (ou demande anticipée). Il réfute ainsi la loi de Say, voulant que l’argent gagné par un capitaliste est nécessairement réintroduit dans le cycle économique, en remarquant que le marché repose sur l’incertitude et que l’argent tend à être accumulé, soit par précaution ou en vue de spéculation ultérieure. Cet état des choses provoque un chômage involontaire, ce qui affecte la consommation, la productivité et les investissements.

Pour soutenir l’emploi, le marché ne doit donc pas se réguler seul et l’État a une responsabilité d’intervenir soit en augmentant les impôts, en injectant des liquidités (imprimer plus d’argent), ou en s’endettant afin de maintenir les emplois.

Combinées, la hausse de productivité et les stratégies d’inspiration kéneysiennes contribueront à insuffler une période de formidable croissance (économique et démographique), d’avancées technologiques majeures, et de changements sociaux significatifs. Cette période, qui s’étend approximativement de 1950 à 1980, mais dont l’influence se répercute encore considérablement sur nos sociétés et notre planète, a été qualifiée «d’âge d’or du capitalisme». En français, on appelle aussi cette période les… 

30 glorieuses

À peu de choses près, l’ensemble des «pays développés» à économie de marché connaissent une très importante croissance économique entre la la fin des années 1940 et la fin des années 1970 : on reconstruit ce qui avait été détruit, on construit des autoroutes, des supermarchés, des banlieues. On développe la télévision, on patente les premiers ordinateurs, on envoie les premiers satellites de télécommunication en orbite. On crée des programmes sociaux, on développe de grands projets collectifs, on libère les mœurs et on réalise quelques avancées civiques. On organise la société autour de la consommation, on crée une classe moyenne, on rêve des USA. On réprime les contestations, on exploite le «tiers-monde», on invisibilise l’immense majorité de l’expérience humaine au profit de quelques modèles d’individus, presque toujours blancs. On arrose d’engrais chimiques toxiques des millions d’hectares de champs et de forêts, on déverse des tonnes de déchets dans tous les cours d’eau accessibles, on brûle du pétrole, beaucoup de pétrole… et ce n’est qu’un début.

À la fin de la guerre, deux accords interviendront entre les principales nations occidentales et contribueront à structurer la relance économique mondiale. Fortement influencés par les états-uniens, ces accords contribueront également à structurer fortement le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. 

Accords de Bretton Woods

La conférence de Bretton Woods, tenue au New Hampshire en juillet 1944, réunira 44 nations alliées (et un observateur soviétique) afin d’organiser la relance économique.

Parmi l’ensemble des personnes présentes, ce sont John Maynard Keynes, représentant de la délégation britannique, et Harry Dexter White, représentant du Trésor des États-Unis, qui se démarquent le plus.

Les Accords de Bretton Woods permettent d’établir un système monétaire international qui établit la valeur de chaque monnaie sur la valeur d’une monnaie de référence, le dollar américain.

De la conférence naîtront deux institutions, la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (aujourd’hui la Banque Mondiale) et le Fonds monétaire international (FMI).

Plan Marshall

Surnommé plan Marshall du nom du secrétaire d’État américain qui en est l’un des principaux artisans, le Programme de rétablissement européen encadre les différents prêts accordés par les États-Unis aux différents États de l’Europe afin de contribuer à la reconstruction des villes et des infrastructures détruites par la guerre.

Des milliards de dollars, garantis par le gouvernement des États-Unis, sont ainsi prêtés par les banques américaines à 16 pays européens qui, pour l’essentiel, doivent les employer pour acquérir des biens et des services provenant des États-Unis.

Le plan Marshall participe également de la doctrine d’«endiguement» du communisme prônée par le président Harry S. Truman.

Rôle social de l'État

Ces ententes et les stratégies adoptées par les gouvernements occidentaux contribuent à modifier la perception du rôle de l’État. On parle d’État providence, d’État social, de Welfare State, et le libéralisme cède un peu de terrain à un certain compromis entre libre marché et intervention sociale : la social-démocratie.

Ces idées ne sont pas nouvelles, mais leur adoption s’accélère à partir des années 1950. Chaque pays applique différemment de nouvelles mesures sociales, par exemple, en développant des programmes d’assurance sociale, d’assurance maladie, de logement social, etc.

Dans certains États, comme au Québec, l’État procède à la nationalisation de certains secteurs clés, comme la production d’électricité.

Inauguration du siège social d’Hydro-Québec par le premier ministre Jean Lesage, le ministre des Richesses naturelles René Lévesque et le président d’Hydro-Québec Jean-Claude Lessard (1962, photo hydro-québec)

American way of life

Les conditions du Plan Marshall et la primauté du dollar américain établie par les Accords de Bretton Woods placent les États-Unis au sommet de la géopolitique occidentale.  L’industrialisation massive de l’ensemble des secteurs économiques, les développements technologiques rapides, ainsi que les transformations des secteurs de la production et de la distribution contribuent à modifier considérablement les habitudes de consommation des ménages. Après la rudesse et les privations de la guerre, le confort prime. C’est la société de consommation. Les objets de consommation se multiplient, les grandes surfaces remplacent les petits commerces de proximité et le secteur des services se développe, dont celui de la publicité qui profite de l’essor des médias, de la télévision en particulier, pour encourager un nouveau style de vie, fortement inspiré d’une image idéalisée de l’Amérique.
La complainte du progrès (Boris Vian, 1956)

Classe moyenne

La grande productivité et la rapidité grandissante des moyens de communication encouragent les grandes entreprises à étendre leurs activités vers de nouveaux marchés et à chercher à rejoindre de nouveaux de consommateurs. Elles cherchent également à mieux les rejoindre, et à les rejoindre plus souvent : multiplication des espaces publicitaires dans les médias et surtout à la télévision, commandite d’événements, d’équipes sportives, etc.

La société est segmentée par les publicitaires qui ciblent de mieux en mieux les consommateurs : la ménagère, les enfants, les col-bleus ou les col-blancs, etc. les publicitaires, aidés par les recherches en psychologie comportementale raffinent leurs stratégies pour attiser le désir et susciter la consommation.

C’est la naissance de la classe moyenne, idéal du consommateur modèle, porté par le discours de la télévision, des magazines, etc., qui bénéficie de l’essor économique pour accéder à la propriété et manifeste son statut social par son niveau de consommation. 

Pourtant, la réalité est loin d’être aussi lisse et homogène que ne laissent rêver les idéaux démocratiques et libertaires de ce modèle… 

les comédiens de l'émission de télévision "PAPA A RAISON"

« La société de consommation a besoin de ses objets pour être et plus précisément elle a besoin de les détruire. L’«usage» des objets ne mène qu’à leur déperdition lente. La valeur créée est beaucoup plus intense dans leur déperdition violente. C’est pourquoi la destruction reste l’alternative fondamentale à la production : la consommation n’est qu’un intermédiaire entre les deux. »

Jean Baudrillard, La Société de consommation (1970)

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