Université du Québec à Montréal | École des médias

TENDANCES DU 21e siècle

Au début des années 1990, on annonçait «la fin de l’histoire» selon l’expression de Francis Fukuyama, qui prévoyait que l’hégémonie du libéralisme (démocratique et économique) contribuerait progressivement à imposer une forme de gouvernement démocratique mondial devant déboucher vers une paix universelle. 

Pourtant, certains penseurs suggèrent le contraire, constatant que le capitalisme, qui réussit tout aussi bien aux régimes autoritaires qu’aux démocraties libérales, constitue une menace pour la démocratie, voire qu’il contribue à tuer la démocratie.

Qu’en est-il, en 2022 ?

Caractéristiques du capitalisme tardif

Les tendances dominantes depuis les années 1980 et 1990 :

Libéralisation / Déréglementation / Privatisation / Concentration / Diversification / Mondialisation / Financialisation

se sont accentuées au courant des deux première décennies du XXIe siècle, donnant lieu à une nouvelle tendance :

l’ubérisation

Mesure ou ensemble de mesures visant à favoriser les échanges commerciaux par la réduction des tarifs douaniers et l’élargissement ou la suppression du contingentement.

Allégement ou suppression de la réglementation dans un secteur donné dans le but de diminuer les contraintes juridiques pesant sur l’exercice de ce secteur. La déréglementation vise à éliminer les entraves au marché libre, à stimuler la concurrence et à encourager les innovations.

OQLF

Action de remettre à l’entreprise privée la propriété et la gestion d’un secteur d’activité économique étatisé.

LIBÉRALISATION

La libéralisation des échanges économiques repose sur un principe clé : l’abolition (ou la réduction) des barrières qui limitent la circulation des biens, des capitaux et des personnes.

Cette orientation économique implique généralement l’élimination des barrières tarifaires, des subventions à l’exportation, des quotas (de production, d’importation), de normes administratives et législatives.

Pour les économistes néolibéraux, la libéralisation des échanges économiques, en augmentant les échanges internationaux, permet de favoriser le développement de tous les pays en encourageant la spécialisation des économies nationales au profit d’une économie mondiale.

 

Déréglementation / DÉRÉGULATION

La libéralisation de l’économie prône donc que les entreprises devraient rencontrer le moins de contraintes possibles dans leurs activités : moins de lois, moins de règlements, moins de comptes à rendre. La logique derrière cette doctrine économique est que plus le marché est «libre», mieux se porte l’économie.

PRIVATISATION

La privatisation fait partie des politiques que l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque Mondiale (BM) travaillent à implanter à l’échelle de la planète.

Essentiellement, ces politiques visent :

    • à ouvrir de nouveaux marchés aux riches investisseurs par le biais des privatisations;
    • à couper dans les impôts et les services gouvernementaux afin de modifier le rôle et restreindre les pouvoirs d’intervention de l’État, ce qui a également pour effet de favoriser les privatisations;
    • à réglementer en faveur du patronat et des investisseurs, favorisant ainsi un développement économique sauvage et ce, dans divers domaines. (travail, environnement, le logement, etc.) ;
    • à refiler à la majorité le transfert de coûts liés à ces mesures qui ont pour impact d’appauvrir la population, principalement les plus pauvres d’entre-nous;

bref, à privatiser les profits tout en socialisant les pertes.

CONCENTRATION / DIVERSIFICATION

Plutôt que de favoriser la compétition, la déréglementation et la privatisation contribuent à encourager la concentration des entreprises, favorisant certains groupes qui parviennent à occuper des positions de monopoles ou s’inscrives dans des logiques d’oligopoles avec d’autres géants, laissant peu de place aux alternatives. Ces entreprises sont souvent très diversifiées, intégrées horizontalement ou verticalement contrôlant l’ensemble de la chaîne de valorisation.

marché de PEU D'OFFREURS

MARCHÉ DE PEU DE DEMANDEURS

Mondialisation du capitalisme

La mondialisation de l’économie répond à ces deux critères :

la libre circulation des biens et des capitaux entre les pays

la capacité des entreprises à développer et soutenir des activités dans des marchés étrangers permet de créer de nouveaux débouchés

MULTINATIONALES

Profitant de l’ouverture des frontières économiques, les grandes entreprises capitalistes, souvent déjà implantées dans les autres pays, renforcent leurs positions dans les marchés locaux et nationaux.

L’un des exemples de cette nouvelle ère du capitalisme est l’expansion internationale des chaînes d’alimentation rapide américaines.

délocalisation

La mondialisation permet également de délocaliser des activités dans des pays où les salaires sont plus bas et où les normes du travail sont moins contraignantes. Elle permet aussi d’acquérir ou d’exploiter des ressources à bas prix dans des régions aux règles environnementales et sociales plus souples.

Paradis fiscaux

La libéralisation, la dérégulation et la mondialisation de l’économie, en favorisant les mouvements de capitaux, rend possible des stratagèmes d’évitement et d’évasion fiscale pour les grandes entreprises et les individus qui en ont les moyens et qui parviennent à réduire leur charge fiscale.

Source de l'image SCFP

financiarisation de l'économie

La financiarisation est un processus qui s’inscrit dans l’histoire du capitalisme et qui touche au mode de régulation de l’économie (quelles sont les institutions qui structurent les rapports économiques ?) et à la logique d’accumulation (comment le capital se reproduit-il ?). Le développement du capitalisme dans sa phase industrielle reposait sur l’expansion de la production. Le capital (l’argent qui est réinvesti) devait être alloué en partie à des investissements productifs, c’est-à-dire qui permettent d’augmenter la capacité de production (par exemple, l’achat de machines plus performantes ou la construction de nouvelles usines).

La logique financière est tout autre. Le capital n’a plus à passer par le détour de la production pour fructifier ; sa simple circulation engendre une création de capital neuf. L’investissement à court terme devient la norme et c’est la spéculation qui fait augmenter la valeur d’un actif. Posséder un actif financier, c’est posséder le droit sur un revenu futur, obtenu par une fluctuation de la valeur de cet actif que génère la spéculation. Le risque rattaché à ce type d’actif est donc beaucoup plus élevé qu’avec les investissements productifs, puisque la valeur d’un actif dépend de la confiance que les acteurs lui portent et sa variation est alimentée par des rumeurs qui sont par définition très volatiles.

La société par actions est une machine à coloniser le temps. Elle fournit un moyen d’enrichir un groupe d’entrepreneurs et de financiers dans le présent en imposant une charge supplémentaire à des dizaines de millions d’utilisateurs dans le futur. La manne récoltée aujourd’hui par les gens qui mettent en place les mécanismes de contrôle et les lignes de crédit à partir desquels se construira cette machine sera financée par les revenus d’individus dans 5, 10 ou 20 ans – voire aussi loin dans le futur que le mécanisme de captation pourra être étendu. 

UBÉRISATION

Empruntant au nom de l’entreprise états-unienne Uber qui a littéralement écrit les règles de ce phénomène, l’ubérisation se caractérise par six tendances spécifiques au capitalisme contemporain, construisant sur les tendances en place :

      • «Innovation» : l’ubérisation propose un solutionnisme technologique aux défis posés aux entreprises et aux consommateurs;
      • Disruption : le modèle d’affaire repose sur une faible responsabilité sociale et environnementale des entreprises
      • Stratégies prédatrices : le succès de ces entreprises repose sur un marketing agressif visant à briser modèles traditionnels en place 
      • Centralisation : souvent qualifiée d’«économie de partage», l’ubérisation repose en fait sur une centralisation considérable de la part d’acteurs qui tentent d’assurer une position monopolistique à l’échelle internationale 
      • Croissance anticipée : la valeur de ces entreprises ne repose pas sur les revenus réels générés par l’entreprise, mais sur les revenus anticipés, la rente, bref, les profits futurs que générera l’entreprise lorsqu’elle sera en situation de contrôle du marché
      • Évitement et évasion fiscale : en plus de la disruption, les entreprises ubérisées mettent à profit d’importants stratagèmes visant à éviter de payer l’impôt prévu par les États où elles s’implantent

Ce contexte très changeant est par ailleurs marqué par le renforcement d’un type de travailleur, travaillant par projet et intermittence. Plusieurs auteurs en parlent comme étant un travailleur 2.0, ou encore un travailleur nomade. On retrouve cette forme de travail dans des réseaux particuliers tels que ceux de l’innovation ouverte (peer production, peer-to-peer ou P2P) (Chesbrough, 2003 ; Yagoubi, Tremblay, 2017b) ou des réseaux de l’économie collaborative et de partage. Toutefois ces statuts de travailleurs sont souvent critiqués, car souvent ce type de travailleur garde un statut précaire sans avantages sociaux. Dans le cas de l’ubérisation du travail, le travailleur s’inscrit dans une économie dite collaborative ou de partage, mais la notion de partage prend un sens bien particulier […]

HAUSSE DES INÉGALITÉS

Inégalités économiques

Écarts injustifiés entre des personnes ou des groupes dans la répartition des ressources économiques. On distingue généralement 3 types d’inégalités entre les individus ou les groupes d’une même société :

de revenu

de richesse

de consommation

Inégalités économiques AU CANADA

En 2017, au Canada, les 10% mieux nantis gagnaient 7,5 fois plus que les 40% plus défavorisés. 

Lorsque les transferts gouvernementaux sont pris en compte et après déduction des impôts, ce taux descend à 2,3.

Au Canada, les 10% les plus riches détiennent 83% des actions et des parts détenues. Si on ajoute le deuxième décile des plus fortunés, ce chiffre monte à  92%.

Au Québec, le 10% le plus riche de la population détient presque la moitié (46%) du billion de dollars (1000 milliards de dollars) d’actifs financiers. Les 20% les plus riches possèdent 68% de tous les actifs financiers de possession québécoise.

Les transferts gouvernementaux sont à l’origine de plus ou moins deux tiers de la réduction des inégalités de revenu selon les provinces. Ils paraissent plus efficaces comme facteur de réduction des inégalités de revenu que la progressivité de l’impôt au regard des données examinées. Toutefois, l’imposition permet de maintenir des services publics de qualité et de financer les transferts sociaux.

Les inégalités n’affectent pas toutes les catégories d’une population de la même manière. On peut considérer que les catégories suivantes sont les plus sujettes à subir les effets des inégalités économiques : 

      • les femmes
      • les jeunes
      • les personnes âgées
      • les personnes seules
      • les personnes immigrant·es ou résident·es non permanent·es
      • les résident·es des régions éloignées

La pandémie n’a fait que souligner davantage le profond fossé qui sépare une petite minorité de privilégié-e-s de la grande majorité. Alors que les travailleur-se-s, leurs familles et les entreprises – en particulier les petites et moyennes entreprises – peinent à survivre, certaines grandes entreprises sont parvenues à se protéger des impacts économiques de la pandémie, voire à tirer profit de la catastrophe. Les conséquences économiques liées à la crise de la COVID-19 ne constituent pas un phénomène naturel ni un accident historique. Elles auraient pu être atténuées et les retombées économiques auraient pu être supportées de façon plus équitable. Les États auraient pu être mieux préparés, les travailleur-se-s auraient pu être mieux protégé-e-s et les entreprises en difficulté ont révélé leur fragilité face au choc économique.

Les grandes entreprises ont exacerbé la crise économique engendrée par la COVID-19 de trois grandes manières :

    1. Les dividendes record versés aux actionnaires en amont de la crise ont fragilisé les entreprises, les travailleurs et les pouvoirs publics, en les rendant vulnérables face au choc de la pandémie
    2. Les entreprises gagnent de l’argent mais font peu pour soutenir les fonds publics consacrés à la lutte contre la pandémie
    3. Les entreprises qui font passer les bénéfices avant les populations ont aggravé la crise de la COVID-19

Pistes de solution Pour se sortir de la crise

Alors que l’inflation ravage la planète entière, certaines entreprises réalisent des bénéfices records. Taxer les superprofits des entreprises, et surtout les bénéfices exceptionnels générés par la pandémie et la guerre, pourrait contribuer à la cohésion sociale et générer des revenus supplémentaires qui pourraient atténuer en partie l’effet négatif de l’inflation sur les plus pauvres.

Pour renverser les inégalités, il faut révéler le mythe du «libre marché»

L’interminable débat cherchant à déterminer si le «libre marché» est meilleur que le «gouvernement» nous empêche d’examiner qui exerce le pouvoir [de définir les règles du marché], comment ces personnes en bénéficient et de débattre à savoir si ces règles doivent être modifiées pour permettre à plus de personnes d’en bénéficier. […] Ce n’est pas un hasard si ceux qui exercent une influence disproportionnée sur les règles du marché – ceux qui sont les plus importants bénéficiaires de la teneur et l’évolution de ces règles – sont aussi ceux qui sont les plus véhéments partisans du «libre marché», et les plus ardents défenseurs de la relative supériorité des marchés sur les gouvernements.

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